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A l’Assemblée nationale, l’indispensable quête d’alliés

Les Français ont ouvert le 7 juillet un épisode inédit de leur histoire politique. Au terme d’une campagne électorale courte et fortement mobilisatrice, ils ont massivement refusé de confier le gouvernement à l’extrême droite sans pour autant donner un quitus clair aux autres forces politiques. Le quadripartisme dans lequel s’est installé le pays avec la présence de quatre forces – gauche, centre, droite, extrême droite –, elles-mêmes subdivisées en une myriade de partis, aboutit à priver de majorité claire les prétendants à l’exercice du pouvoir, sur fond de défiance politique, d’inquiétudes et de lourdes insatisfactions.
Sauf à conduire au blocage politique voire à la crise institutionnelle, une telle situation impose de rechercher des alliés au-delà de son propre camp : aucun parti ni aucun bloc ne peut prétendre avoir raison seul, quand plus d’une centaine de voix le séparent de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Rompus aux arcanes de la démocratie parlementaire, la plupart de nos voisins européens pratiquent avec naturel l’art de la coalition. La formation arrivée en tête cherche avec quels alliés elle pourrait gouverner. L’approche peut durer des jours, la négociation d’un projet de gouvernement des semaines. Personne ne s’en offusque : de la solidité de l’attelage dépend la durée de vie du gouvernement. Mais ce qui apparaît naturel ailleurs ne va pas de soi en France, pour des raisons qui tiennent à la fois à la conjoncture politique et à la pratique institutionnelle.
La situation actuelle résulte de l’initiative contestée et contestable du chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin. Son résultat ayant créé, dans chaque parti, de la colère et du ressentiment, personne ne se sent tenu par la fin du mandat d’Emmanuel Macron. Tous rêvent d’affranchissement, voire de revanche. La gauche, arrivée en tête, cherche à imposer une cohabitation, la droite tente elle aussi d’en imposer l’idée, mais à ses conditions. Les deux camps oublient simplement qu’une cohabitation ne tient que si le premier ministre s’est assuré au préalable d’un nombre suffisant de soutiens pour ne pas être renversé. A ce stade, la condition n’est pas remplie.
On ne se départ pas en quelques jours des pratiques induites par la Ve République : le mode de scrutin majoritaire à deux tours a longtemps garanti au parti arrivé en tête une majorité confortable. De cette situation découlent une culture du rapport de force et une méfiance à l’égard du compromis davantage assimilé à de la trahison qu’à de l’enrichissement. L’importance acquise depuis 1962 par l’élection du président de la République au suffrage universel direct contribue à dévoyer l’idée de la coalition : les candidats au scrutin de 2027 n’ont objectivement aucun intérêt à y participer, soucieux de se démarquer du mandat finissant.
Dans une Assemblée nationale condamnée à demeurer en l’état pendant au moins un an, rester sur son quant à soi en refusant de s’ouvrir serait irresponsable. Les électeurs ont émis pendant la double campagne des élections européennes et législatives des insatisfactions fortes en matière de pouvoir d’achat, de services publics, de sécurité, notamment. Pour tous ceux qui prétendent contrer le Rassemblement national, ne pas tenter d’y apporter une réponse ferait monter la défiance. Très vulnérable sur le plan budgétaire, le pays ne peut s’offrir le luxe de l’immobilisme ou de l’instabilité. Dans sa forme actuelle, le jeu parlementaire ouvre de nombreuses possibilités. Il faut laisser le temps agir pour que chacun le réalise.
Le Monde

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